Entretien

Interview d'Anne-Catherine Muller

Professeur de droit privé et de sciences criminelles à Paris 1, Anne-Catherine Muller revient sur les enjeux juridiques des marchés financiers dans un livre paru en septembre 2023, intitulé "Droit financier : les opérations de marché".

Comment est née l’idée de cet ouvrage ?

Il existe peu de livres de droit financier, et plus particulièrement de droit sociétés cotées. Il n’en existe même que trois… Pourtant ce droit est amené à concerner de plus en plus d’entreprises dans la mesure où l’Union européenne cherche à promouvoir ce mode de financement.

A l’heure actuelle, en Europe, le financement des entreprises est principalement bancaire, à hauteur de 75%. Or, comme nous l'avons vécu récemment, on sait que lorsque les banques vont mal, l’entreprise, et plus largement toute l'économie trinquent… C’est ce qui s'est passé lors de la crise de la dette souveraine grecque, laquelle a entraîné une vaste crise économique. Il est intéressant de souligner qu’aux Etats-Unis, le financement des entreprises se fait selon une proportion exactement inverse avec un financement procuré à hauteur de 75 % par les marchés financiers et seulement 25 % par les banques.

 

Quelle était votre ambition et pour quel profil de lecteur avez-vous écrit ce livre ?

Comme la plupart des disciplines juridiques, le droit des sociétés cotées est une matière très mouvante. J’ai souhaité aider à sa compréhension à travers une vision analytique. Expliquer le fonctionnement des marchés financiers, comment une entreprise entre en bourse et en sort, quelles sont les règles auxquelles elle se voit soumise, les enjeux de ces règles et vers quoi elles vont évoluer. Au départ, je pensais m’adresser aux étudiants mais au fur et à mesure de l’écriture je me suis rendu compte que mes recherches pouvaient également intéresser des professionnels...

 

L’évolution du droit des sociétés cotées va-t-elle dans le bon sens selon vous ?

Cela dépend de quel côté on se place ! Mon livre ne prend pas parti mais essaie de montrer que les enjeux à défendre ne sont pas les mêmes selon que l’on est une entreprise ou un investisseur. Constitue une illustration de la nécessaire balance des intérêts à laquelle doit procéder le droit financier, comme tout droit le prospectus relatif aux titres financiers offerts au public pour une entreprise qui souhaite se financer directement par les marchés financiers. Ce document d’informations, volumineux puisqu'il fait souvent 300 à 400 pages, fait l'objet d'un encadrement par un règlement européen. Le prospectus représente un document précontractuel, indispensable à l'investisseur pour s'informer avant de décider d'investir, mais qui a un coût élevé pour l'émetteur. Le règlement relatif au prospectus date de 2017 et exonère de prospectus les entreprises qui offrent des titres publics pour un montant inférieur à 8 millions d’euros or, actuellement, il y a un projet pour relever ce seuil à 12 millions d’euros… Si ce relèvement s'avèrerait bénéfique aux entreprises, la protection des investisseurs en serait diminuée… D'autres aspects du droit financier témoignent de la difficulté de concilier certains objectifs. La dernière partie de l'ouvrage, consacrée aux offres publiques d'acquisitions, souligne combien les nombreuses évolutions législatives dans ce domaine illustrent le désir de s'ouvrir aux financements étrangers et, en même temps, la volonté de protéger les entreprises et les emplois nationaux.

 

Quelles sont les grandes révolutions juridiques à venir pour les opérations de marché ?

Le droit financier repose principalement sur le droit européen. L'ambition du projet Capital Markets Union (CMU) est de supprimer les barrières entre les pays afin que les capitaux circulent librement et qu’il n’y ait plus de législations différentes. Ce projet va impliquer l'adoption de nombreux textes européens.

L’autre sujet qui émerge et sur lequel tous les juristes sont mobilisés actuellement concerne le reporting extra-financier des entreprises, désormais rendu obligatoire par plusieurs textes européens. Le nouveau rapport sur la durabilité contrait les grandes entreprises, puis, à terme, les PME, à publier des informations extra-financières sur leurs activités, au moyen d'indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, et à faire valider ces information par un tiers indépendant.

 

Anne-Catherine Muller, Droit financier : les opérations de marché : L’introduction en bourse et ses conséquences – Les transactions – Les offres publiques d’acquisition, Éditions Economica, septembre 2023.