La réforme des institutions, entre histoire et théorie du droit
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Fréquemment présentée comme une nécessité et perçue comme une panacée, la réforme, en particulier celle appliquée aux « institutions », est devenue un leitmotiv du discours politique contemporain. Consensuelle en apparence, la notion se révèle à l’usage profondément ambiguë. À la multiplicité des définitions qu’elle peut recevoir s’ajoute la diversité des connotations dont elle a été historiquement marquée. En fonction du contexte religieux, politique ou social, et au gré de l’opinion publique, elle a pu en effet devenir un instrument destiné à contrer ou à édulcorer des velléités d’innovations radicales, comme être avancée, en sens inverse, comme un mot d’ordre contre l’immobilisme. Elle a pu appuyer le pouvoir en justifiant son action, comme soutenir les critiques soulevées contre lui. D’après Philippe Minard, la notion de réforme connaît ainsi des usages historiquement datés qui devraient selon lui faire l’objet d’une « enquête comparative et généalogique » (« La "réforme" en France et en Angleterre au XVIIIe siècle : sens et fortunes d’un mot d’ordre », Revue d’Histoire moderne & contemporaine, 2009/5 (n°56 – 4bis), p. 5-13).
Depuis, les historiens se sont emparés de la question et l’ont récemment revisitée, en particulier pour le Moyen-Âge (cf. le colloque Reformatio ? Dire la réforme au Moyen âge. XIIIe-XVe siècle, Aubervilliers, 21-22 novembre 2019, et le programme Reformatio du LAMOP). Mais il reste encore beaucoup à explorer, tant pour mesurer l’apport des différentes périodes qui ont, chacune, donné un sens à la réforme, que pour circonscrire la nature de son objet. Par ailleurs, depuis le début du siècle, souvent sur fond de crises majeures (terrorisme, effondrement boursier, pandémie et autres conflits armés…) et à la faveur d’états d’urgence, ou plus simplement dans un cadre européen de plus en plus intégré, de profonds changements ont affecté les différentes branches du droit, en matière constitutionnelle, administrative, civile, pénale et procédurale. Ils invitent à de nouvelles réflexions sur les critères qui pourraient aider à circonscrire la réforme sur les plans théorique et pratique, et permettraient sans doute des approches historico-comparatives. On y est d’autant plus incité que la notion de réforme est parfois consacrée, sans toutefois y trouver de définition, par les textes officiels eux-mêmes. C’est le cas par exemple pour l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, « portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ». Par suite, les questions sous-jacentes ne se rapportent pas seulement à l’application au domaine juridique d’une notion potentiellement instrumentalisée et, de fait, politisée depuis des siècles. Elles touchent aussi, concrètement, aux objectifs visés par telle entreprise de modification du droit, aux moyens mobilisés pour y parvenir et à ses conséquences. Il s’agit donc de ne pas se limiter à une conception abstraite et globalisante de la réforme mais également d’exposer ses mécanismes et d’évaluer son étendue au cas par cas.
À ce compte cependant, la réforme pourrait n’être que synonyme de l’amendement du droit, et son invocation un simple affichage. Cependant, l’exemple des obligations suggèrent tout d’abord que son critère distinctif résiderait dans l’ampleur ou l’ambition du changement opéré. L’autre élément qui semble émerger est l’ancienneté, la pérennité devenue problématique de l’objet réformé. La réforme, en droit, se définirait-elle donc in fine moins par une technique que par ce qu’elle modifie ? Existe-t-il, dès lors, une notion, un concept, un objet identifiable permettant de distinguer la réforme, indépendamment du contenu que lui assigne chaque époque ?
L’importance de la chose réformée et sa pérennité invitent à poser une hypothèse : celle de l’adéquation, précisément, de la notion d’ « institution » pour la désigner. Il ne s’agirait cependant pas exactement de celle, déjà évoquée, que manie le discours politique. D’après le Trésor de la langue française, la notion désigne, au sens métonymique, un « organisme public ou privé », ou un « régime légal ou social, établi pour répondre à quelque besoin déterminé d'une société donnée » (TLFi, v° « institution », sens I, B, I). Ainsi, malgré le sous-entendu publiciste de son emploi politique habituel, l’analyse institutionnelle du droit requiert d’inclure les institutions privées telles que la propriété, le contrat ou la preuve. Il faudrait donc déterminer si l’expression de « réforme des institutions » ne constituerait finalement pas un pléonasme dans la mesure où tout objet identifié comme réformable présenterait les caractères classiques de l’institution, à savoir son organisation, son caractère permanent et le but qu’on lui assigne ; ou si, au contraire, l’expression désigne une réalité spécifique, rattachable au domaine exclusif du droit et distincte d’autres types de réformes…
Quelle que soit la perspective adoptée, il serait souhaitable que soient examinées les conséquences de la réforme sur le droit. Si elle répond toujours à une volonté clairement affirmée d’amender les choses, il faudrait en effet être capable d’identifier ses motivations profondes et d’observer les résultats atteints. L’ont-ils été ? Se révèlent-ils décevants, contre-productifs ? Ont-ils au contraire dépassé les attentes ? Et quelles sont les conséquences pour les institutions existantes ?
L’ambition de cette rencontre serait ainsi de restituer la réforme des institutions au débat scientifique. Ainsi pourra-t-on mesurer son utilité pour analyser les changements du droit dans le temps ; en sens inverse, il sera aussi possible d’évaluer le rôle joué par l’analyse institutionnelle, ou par l’évolution de telle institution, dans les représentations historiques du concept de réforme.