L’OUDROPO,,

LE MANIFESTE DE L’OUDROPO,,

Signé le 10 juin 2014 au 4 rue Valette* à Paris sous l’égide de l’IRJS, l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne et de l’Ecole doctorale de droit privé de l’Université Paris 1.

Article 0.- Le manifeste comporte un article unique nommé article 2 qui apparait avant le postambule et le préambule.

Article 2.- A l’aide d’une contrainte librement choisie, il sera créé du droit : norme, acte, lien, prérogative ou personne juridique.

POSTAMBULE

Créer du droit, l’expression est forte. Il faut pousser dans la direction de A chacun son droit pour que cette création prenne sa chair dans un non-sens explicatif.

 

PREAMBULE 

L’OUDROPO,, est un site de créativité juridique et de théorie du droit. Il vise à la création juridique à l’aide de contraintes que les membres se fixent à eux-mêmes. Il se situe dans la mouvance de l’OuLiPo, l’Ouvroir de Littérature potentielle, association tout à fait originale provenant notamment de la ‘pataphysique et née en France. Le terme OUdropo,, comprend deux virgules à la fin en hommage à l’apostrophe qui précède ‘pataphysique, pour symboliser une des contraintes premières à laquelle on peut songer pour modifier un texte de droit, c’est-à-dire modifier la ponctuation. Comme pour le symbolon coupé en deux servant de signes de reconnaissance dans la Grèce Antique, l’espace entre les deux virgules symbolise le lieu de dialogue et de création que suppose un atelier OUDROPO,, portant sur la créativité juridique et la théorie du droit.

 

I. L’origine de l’OUDROPO,,

M. Le Cannu, professeur à l’université Paris 1 et aujourd’hui Individu de Dignité de l’Oudropo,, (voir circourielle n°5), a montré la voie en mêlant droit substantiel et droit processuel, théorie et pratique, travail individuel et collectif, travail sur la langue, jeu de langage. Il est lié d’un point de vue familial à la ‘pataphysique. Elle signifie étymologiquement « ce qui est sur ce qui est au-delà de la physique ». Elle conduit à réfléchir à un langage se situant au dessus de la métaphysique, une sorte de métalangage humoristique cherchant à lutter contre toutes les bêtises et les dictatures depuis le père Ubu d’Alfred Jarry [1]. L’apostrophe devant le mot ‘pataphysique qu’il ne faut surtout pas omettre a pour but, semble-t-il, d’éviter des calembours, mais plus surement de les provoquer ! La ‘pataphysique a eu une influence dans de nombreux domaines jusqu’à nos jours mais selon des voies plutôt indirectes. Ainsi, les premiers textes de l’OULIPO sont parus dans la revue de ‘pataphysique. Selon des informations de Paul le Cannu lui-même, son propre père fut « auditeur réel », puis « commandeur exquis » du Collège, à l’époque du T’Satrape Latis [2].

L’OULIPO [4], l’OUvroir de LIttérature POtentiel a été créé, notamment, par Raymond Queneau et François Le Lionnais en 1960 à la suite des mouvements dadaïste, ‘pataphysique et surréaliste. Il convient de noter que la naissance de l’OULIPO s’est faite aussi en rupture avec le surréalisme (Queneau, par exemple, avait rompu avec le surréalisme) dans la mesure notamment où ce dernier se fondait sur la notion de hasard objectif alors que l’OULIPO se fonde sur des contraintes que l’on se fixe et qui ne doivent rien au hasard. Par une contrainte, il s’agissait de se concentrer sur une ligne étroite quoique zigzagante et de se délivrer partiellement des problèmes d’inspiration, de page blanche et de champs disciplinaires. Autrement dit, l’idée était de suivre une ligne de création là où elle mène, quand bien même elle conduit à des conclusions inattendues ou à des domaines étrangers.  Par exemple, G. Perec un des dix premiers membres de l’OULIPO s’est donné pour contrainte dans son roman « la disparition » de ne jamais employer la lettre e.

 

Il a déjà été créé, parmi d’autres, un OUvroir d’ARChitecture POtentielle (OUDARPO), nous avons créé un OUvroir de DROit POtentiel (OUDROPO,,) non seulement par jeu, mais aussi pour approfondir le droit, offrir une approche pédagogique complémentaire et éventuellement créer de nouvelles formes juridiques. L’OUDROPO,, est donc l’Ouvroir de droit potentiel qui se fixe des contraintes pour réactualiser et tenter de créer du droit à venir. Se fixer des contraintes peut contribuer à des approches transdisciplinaires. La transdisciplinarité implique, en effet, de trouver des méthodes pour aborder des matières dont on n’est pas spécialiste, ce qui signifie souvent ne pas connaître avec précision l’histoire de la pensée dans un domaine donné.

 

L’idée de base est donc de se fixer des contraintes en droit. Le travail de l’OUDROPO,, est collectif comme l’est l’OULIPO car il suppose un dialogue. Chacun arrive aux réunions (actuellement des séminaires doctorales de théorie du droit) avec quelques idées de contrainte que l’on tente de mettre en œuvre en matière juridique. L’entreprise paraît un peu absurde. Cependant, des ateliers de création juridique commencent à fleurir aujourd’hui dans le monde (au Brésil [5], en Hollande [6] en relation avec la Banque mondiale, notamment). La tradition française fondée sur la ‘pataphysique et l’OULIPO est tout à fait unique, comme l’a écrit un auteur américain venu enquêter en France [7]. Un tel atelier a été créé à l’Université Paris 1 en septembre 2013. Il importe de préciser quels sont les aspects essentiels de la méthode de l’OUDROPO,,.

 

II. Les linéaments de la méthode de l’OUDROPO,,

L’OUDROPO,, a deux axes de créativité, un axe interprétatif et un axe compositionnel. Comme dans le théâtre ou la musique, il convient d’opérer, en matière de créativité juridique, une distinction entre l’interprétation et la composition. L’interprétation suppose une forme de créativité particulière et la mise en œuvre d’une multitude de méthodes d’interprétation [9]. Une contrainte peut consister, par exemple, à retirer toutes les virgules du Code civil pour réinterpréter ses dispositions et trouver ainsi par anticipation de nouvelles lectures. Il s’agirait non seulement de rendre disponible de nouvelles lectures mais, surtout, de s’habituer à ne jamais penser qu’une disposition puisse avoir un seul sens. Plus simplement, l’expérience effectuée en master 2 contentieux des affaires consistant à demander à des petits groupes d’étudiants de proposer au moins une interprétation différente de l’article 14 du code de procédure civile, selon lequel «nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée », met à jour des interprétations nouvelles (certes sans utilité immédiate !). Il s’agirait d’appliquer à des textes de loi ou des attendus d’arrêts classiques la variété des méthodes d’interprétation existant en droit ou dans d’autres disciplines[10].

 

Du point de vue de la composition, il s’agit davantage de tester de nouveaux concepts, de nouvelles configurations juridiques, d’essayer à titre de contrainte de déterminer des concepts étrangers inconnus en France et de tenter de les acculturer au droit français, voire de créer de toute pièce des nouveaux concepts et de faire ainsi de la science juridique fiction (que beaucoup d’auteurs et de doctorants pratiquent déjà ! Il s’agit de le systématiser et de se procurer une méthode). En dehors des retombées théoriques sans doute relativement imprévisibles, le grand apport de cette démarche est pédagogique. Il permet aux étudiants de se libérer quelque peu du carcan positiviste (qui est aussi structurant) et de déterminer quelques méthodes qui pourraient leur permettre en pratique de sortir d’un blocage (pourquoi ne pas réécrire une disposition avec des synonymes pour essayer de lui trouver un autre sens par exemple ?). Paradoxalement et comme souvent, tenter d’être créatif exige une grande rigueur (sauf à tomber dans certains poncifs parfois entendus du type « il nous faut des juristes créatifs »). On sait que les grands artistes sont souvent d’une exigence impitoyable. L’OUDROPO,, peut conduire assez souvent dans de vaines directions mais pour rester viable, comporte des contraintes de méthodes, d’organisation et de fonctionnement tout à fait précises (quoique toujours fondées sur une part d’humour !).

L’expérience montre que cette méthode est tout à fait détonante et qu’elle peut contribuer à faire éclater un problème juridique en plusieurs autres problèmes encore plus difficiles.

 

[1] Le manifeste de la ‘pataphysique est d’A. Jarry, Gestes et opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien. Suivi de l’amour absolu, NRF Gallimard, Poésie, 1911. C’est un texte commençant par une parodie de procédure civile : « LIVRE PREMIER, PROCÉDURE commandement en vertu de l’article 819L’An mil huit cent quatre vingt dix-huit, le huit février, En vertu de l’article 819 du Code de procédure Civile et à la requête de Mr et Madame Bonhomme (Jacques), propriétaires d’une maison sise à Paris, 100 bis, rue Richer, pour qui domicile est élu en ma demeure et encore à la mairie du Qe arrondissement J’ai, René-Isidore Panmuphle, huissier près le Tribunal civil de première instance du département de la Seine, séant à Paris, y demeurant, 37, rue Pavée, soussigné, Fait Commandement de par la LOI et JUSTICE, à Monsieur Faustroll, docteur, locataire de divers lieux dépendant de ladite maison, demeurant à Paris, 100 bis, rue Richer, où étant au-devant de ladite maison, sur laquelle se trouve également indiqué le chiffre 100, et après avoir sonné, frappé et appelé le susnommé à différentes reprises…, livre VIII DÉFINITION Un épiphénomène est ce qui se surajoute à un phénomène. La pataphysique dont l’étymologie doit s’écrire et l’orthographe réelle ‘pataphysique, précédé d’une apostrophe, afin d’éviter un facile calembour, est la science de ce qui se surajoute à la métaphysique, soit en elle-même, soit hors d’elle-même, s’étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la physique. Et l’épiphénomène étant souvent l’accident, la pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu’on dise qu’il n’y a de science que du général.

Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions et expliquera l’univers supplémentaire à celui-ci; ou moins ambitieusement décrira un univers que l’on peut voir et que peut-être l’on doit voir à la place du traditionnel, les lois que l’on a cru découvrir de l’univers traditionnel étant des corrélations d’exceptions aussi, quoique plus fréquentes, en tous cas de faits accidentels qui, se réduisant à des exceptions peu exceptionnelles, n’ont même pas l’attrait de la singularité. DÉFINITON: La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité ». Accessible en ligne sur le site de la Société des Amis d’Alfred Jarry, 2009 Secrétariat: Julien Schuh 149 bis rue nationale 75013 Paris.

[2] Latis est le pseudonyme d’Emmanuel Peillet, un professeur de français, entré à l’Oulipo le 13 janvier 1961, dès la seconde réunion, comme représentant du Collège de ‘Pataphysique. Il est l’auteur d’un roman constitué exclusivement de préfaces et de postfaces, l’Organiste athée

[3] Paul Le Cannu indique à ce propos dans un courriel adressé sans la savoir au Général Secrétaire de l’Oudropo,, : “mon père – qui fut un temps lycéen à Rennes, patrie de Jarry – fut « auditeur réel », puis « commandeur exquis » du Collège, à l’époque du T’Satrape Latis. J’ai absorbé avec délectation et inculture les publications dont Latis était l’animateur et le principal auteur. Après la mort de Latis, des Rennais ont voulu poursuivre, avec un cahier nettement plus artisanal, nommé L’étoile Absinthe. Tout un programme qui a cessé une fois que les animateurs ont bu la totalité du fonds. J’ai conservé tout cela”.

[4] V. La littératoire potentielle (1973) et Atlas de littérature potentielle (1981) Folio Essais. V. Aussi J. Bens, Genèse de l’Oulipo, Castor Astral, 2005 qui écrit dans sa préface : « pour François le Lionnais et Raymond Queneau, l’Ouvroir de Littérature Potentielle, qui ne serait pas « à dada sur le surréalisme » comme l’écrivit un journaliste, devait avoir le projet d’explorer la notion de structure, indépendamment de l’utilisation susceptible d’en être faite, un même type de contrainte pouvant se trouver à l’origine d’œuvres différentes comme le prouve les règles du sonnet », p. 15.

[5] Université de Rio, département de Philosophie du droit, information fournie par Licia Bosco.

[6]Sam Muller, directeur du “Hague institute for the internationalization of law, innovative justice” (site internet); v. Aussi Legal innovation and empowerment for development, dir. H. Cissé, S. Muller, Ch. Thomas et Chenguang Wang, World Bank legal review, 2013, spéc. P. 17 s. C’est une approche que l’on pourrait nommer managériale de l’innovation liée à la banque mondiale et ayant pour but de créer un réseau de l’innovation légale dans le but de partager des bonnes pratiques (une façon aussi de promouvoir une certaine approche du droit résumée par le terme de rule of law v. Résolution ONU, 30 nov. 2012 on the rule of law at the national and international levels).

[7] D. Levin Becker, Many Subtle Channels, in Praise or Potential Literature, Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts, London, England, 2012, p.13.

Le note [8] est une note fantôme.

[9] Répertorié dans un livre passionnant par B. Frydman, Le sens des lois, 3° éd. 2013, Bruylant.

[10] G. Perec avait proposé plusieurs dizaines de réécriture de la phrase de Proust “longtemps je me suis couché de bonheur”.

 

Visitez les site de l'Oudropo;;