Revue Juridique de la Sorbonne n°3

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Edito

« Le droit n’est pas cet absolu dont souvent nous rêvons […] Le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite ». Une grande partie des contributions de ce numéro 3 de la Revue illustrent cette déclaration du doyen Jean Carbonnier. En effet, dans le cadre de ce numéro, il est question de confiance, d’émotion, de tolérance et de prudence, des notions qui n’ont pas de définition juridique précise mais peuvent être étroitement liées à la nature humaine.

La confiance d’abord, notion non définie par le droit mais qui pourtant est un élément essentiel dans le cadre des missions du notaire, tiers de confiance. Cette relation de confiance est ici (p. 6) traitée sous l’angle de la confiance technologique avec la mise en place de la blockchain, que celle-ci soit privée ou publique. L’émotion, ensuite, qui est plutôt appréhendée par les autres sciences humaines. Or, dans le cadre du séminaire « Droit et émotion », dont les 5 premières séances sont ici reproduites (p. 145), la part de l’émotion qui innerverait les différentes branches du droit est scrutée. Plusieurs surprises émaillent cette étude de la relation entre le droit et l’émotion. Ainsi, alors que l’on s’attend à retrouver une empreinte forte de l’émotion dans la propriété intellectuelle des œuvres d’art ou dans le droit de la famille, elle y est plutôt étroitement encadrée par le droit. À l’inverse, en droit des sociétés, l’on aurait pu penser que l’émotion en est absente, alors qu’elle y occupe une place importante. Puis, la tolérance. Dans l’Ancien Régime, lorsque les normes existantes ne couvraient pas certains sujets, mais que le pouvoir royal se devait de « dire laisser-faire », la tolérance royale était évoquée (p. 58).
Cette tolérance illustrait la puissance de l’autorité royale et permettait à cette dernière de faire illusion sur l’étendue objective de son pouvoir. Et enfin, la prudence. Le droit cherche à influer sur les conduites humaines, notamment en incitant à la prudence. Cela se traduit par exemple via le mécanisme de responsabilité délictuelle. En effet, cette responsabilité a plusieurs propriétés qui lui confèrent une certaine force dissuasive (p. 81) : sa proportionnalité face à la gravité de la faute, la possibilité de dépassement du plafond de la réparation intégrale et enfin, la possibilité pour le juge de s’auto-saisir pour la prononcer.

Ce numéro de la Revue n’en oublie pas pour autant de traiter le droit de manière plus classique. Ainsi, l’autorité de la chose jugée au pénal sur les actions civiles sera ici étudiée sous l’angle nouveau du raisonnement judiciaire dans son ensemble (p. 114). Dans une autre contribution (p. 123), l’usage des technologies de l’information et de la communication dans les centres d’arbitrage de la zone OHADA est analysé. Les textes ne sont pas formels sur cette possibilité de dématérialiser la procédure d’arbitrage, mais une marge de manœuvre est laissée aux arbitres et parties d’en déterminer les modalités pratiques.

Ainsi, malgré une certaine « flexibilité du droit », il est rassurant de constater que la société humaine n’est pas entièrement guidée par la passion, considérée par le doyen Carbonnier comme vicieuse parce qu’elle « trouble secrètement le cours paisible de la vie sociale. S’il n’y avait pas de normes juridiques […] l’intuition des individus jouerait et une expérience se formerait par l’habituelle dialectique des tentatives et des erreurs, des échecs et des réussites ».

Ianjatiana RANDRIANANDRASANA